Les peintures et revêtements 'refroidissants' peuvent-ils sauver l'environnement?
Un désastre pour la planète
Avant que les lois de la thermodynamique ne soient élaborées, aucun calcul n'était nécessaire pour savoir que les bâtiments situés dans des régions chaudes et ensoleillées devaient être peints en blanc pour abaisser la température intérieure. Finalement, l'invention de la climatisation au 20ème siècle a apporté la solution définitive au problème du refroidissement des bâtiments. Une invention qui fait aujourd'hui débat. En effet, selon l'Agence internationale de l'énergie, les équipements de climatisation et de ventilation représentent aujourd'hui 10 à 13% de la consommation mondiale d'électricité et les technologies de climatisation sont responsables de 11% des émissions annuelles de gaz à effet de serre. Or, selon le Programme des Nations Unies pour l'Environnement, cela entraînera "un désastre pour la planète". Pour réduire cette demande, les chercheurs travaillent sur des systèmes plus durables, dont certains se rabattent sur le concept traditionnel de peinture ou couverture des bâtiments - une idée séculaire, mais avec les technologies du 21ème siècle.
Solutions de climatisation radiative passive
Le conditionnement d'air entraîne un double problème: non seulement la production de l'énergie qui l'alimente émet des gaz à effet de serre, mais aussi, contrairement au chauffage solaire passif, le refroidissement des bâtiments en-dessous de la température ambiante génère de la chaleur qui doit être évacuée à l'extérieur, contribuant ainsi à son tour au réchauffement climatique. Comme il ne s'agit pas d'une bonne solution à long terme, les scientifiques cherchent leur salut dans des 'solutions de climatisation radiative passive". Passive signifie qu'elles ne consomment pas d'énergie, et radiative signifie qu'elles émettent un rayonnement infrarouge. En d'autres termes, les études se concentrent sur l'idée que la chaleur s'échappe de la terre sans réchauffer l'air.
Matériaux de revêtement
Le refroidissement par rayonnement est relativement facile à réaliser la nuit. C'est pourquoi les chercheurs développent actuellement des panneaux solaires capables de produire de l'électricité une fois le soleil couché. Par contre, il est plus difficile d'y parvenir en plein jour, lorsque la lumière du soleil chauffe les matériaux. Il y a encore quelques années, cet objectif était même considéré comme irréalisable. Il est devenu concret pour la première fois en 2014, lorsqu'une équipe de l'Université de Stanford a publié le concept d'un matériau de revêtement, composé de couches de silice et d'hafnie, qui réfléchit 97% de la lumière du soleil et abaisse la température jusqu'à 5°C en-dessous de la température de l'air ambiant. Ce faisant, il émet principalement un rayonnement infrarouge qui n'est pas retenu dans l'atmosphère. L'année suivante, des chercheurs de l'Université de Technologie de Sydney ont produit une combinaison de polymères avec une fine couche d'argent qui réfléchit presque 100% de la lumière en plein soleil d'été et reste 3°C plus bas et 11°C plus fraîche qu'un toit voisin peint en blanc.
Revêtements polymères
Des recherches ultérieures ont tenté d'améliorer les qualités techniques de ces solutions. En 2017, un groupe de scientifiques spécialisés dans les matériaux de l'Université du Colorado a créé une feuille de plastique translucide et flexible contenant de minuscules billes de verre qui réfléchissent le rayonnement infrarouge pour une meilleure évacuation de la chaleur. Avec comme résultat un matériau qui réduit la température de 10°C, s'approchant ainsi de la limite théorique du refroidissement radiatif pendant la journée. Le fait que ces solutions soient adaptées à un usage commercial et disponibles à des coûts abordables s'avère tout aussi important. Les travaux sur ces matériaux visent donc à atteindre des normes de performance élevées à un coût acceptable. Les revêtements polymères, puisque c'est de cela dont il s'agit principalement, peuvent être fabriqués à l'aide des technologies courantes comme le moulage, l'extrusion et l'impression 3D, et utilisent des matériaux accessibles et durables.
Peintures refroidissantes
Outre les différents revêtements, les recherches se multiplient sur les peintures pouvant être appliquées directement sur les toits et les façades. En 2020, des chercheurs de l'Université de Purdue, dans l'Indiana (États-Unis), ont développé une peinture acrylique contenant une charge de carbonate de calcium qui réfléchit 95% de la lumière du soleil – les peintures blanches normales en réfléchissent environ 80% – et qui réduit les températures de près de 2°C. Bien que les performances de la peinture soient inférieures à celles des revêtements polymères, le gros avantage de ce système (selon les auteurs de l'étude) est qu'il offre "les avantages sans précédent d'une forme de peinture pratique, à faible coût et compatible avec les processus de production de peintures commerciales".
À la portée de l'industrie
Une équipe de l'Université de Californie à Los Angeles a quant à elle fabriqué une peinture blanche qui réfléchit 98% du rayonnement solaire. Pour y parvenir, les chercheurs ont remplacé l'oxyde de titane classique (qui a l'inconvénient d'absorber trop de rayons ultraviolets) par d'autres composés comme du sulfate de baryum ou baryte (utilisé par les artistes) ou du téflon (revêtement utilisé pour les poêles antiadhésives). Selon l'auteur principal de l'étude, modifier des produits que l'on peut acheter dans n'importe quel magasin est "à la portée de l'industrie des peintures et des revêtements". En utilisant des nanoparticules de sulfate de baryum, l'équipe de l'Université de Purdue a également développé une formule améliorée qui reflète 98% de la lumière solaire et qui peut être appliquée en une couche suffisamment fine pour être utilisée sur des véhicules tels qu'avions, trains et voitures.
Nanocomposites ultrablancs
La peinture utilisée dans l'étude indienne récente (2023) mentionnée dans l'introduction a été développée sur la base d'un polymère d'oxyde de magnésium (MgO) et de fluorure de polyvinylidène (PVDF) qui, selon ses fabricants, possède "une capacité de refroidissement significative avec une réflectivité solaire et une émissivité thermique infrarouge élevées". L'expérience a également montré que la température d'une surface traitée diminue d'environ 10°C sous une lumière solaire intense, soit pratiquement le double de la réduction que permettent les peintures blanches traditionnelles. Les scientifiques ont développé cette peinture en utilisant une technique de nanocomposites MgO-PVDF ultrablancs et ultra-émissifs, préparés à partir de matériaux disponibles en abondance, bon marché, non toxiques et non nocifs.
Des solutions colorées
Cependant, la plupart des solutions sont de couleur blanche ou grise (gris argenté), mais il ne sera pas toujours souhaitable de peindre les surfaces en blanc. Des scientifiques de l'Université de Columbia ont donc conçu un revêtement bicouche, dont la couche supérieure peut être adaptée pour absorber différentes longueurs d'onde de la lumière visible afin de révéler la couleur souhaitée. Ce matériau génère un effet refroidissant inférieur de 3°C à 15°C par rapport à celui d'une peinture conventionnelle de même couleur. Selon les auteurs, il s'agit d'une solution "simple, bon marché et évolutive".
En août de cette année, l'Université de Stanford a développé un nouveau type de peinture capable de garder les bâtiments plus frais en été, mais aussi plus chauds en hiver. Les nouvelles peintures colorées se sont révélées capables de réduire la consommation d'énergie d'environ 36% dans des conditions artificiellement fraîches et de près de 21% dans des conditions artificiellement chaudes. Des simulations pour un immeuble à appartements moyen dont les murs extérieurs et les toits ont été recouverts de ces nouvelles peintures ont montré une baisse de la consommation totale d'énergie de 7,4% en un an.
Garder la chaleur à l'intérieur
La nouvelle peinture se compose de deux couches appliquées séparément, dont une sous-couche réfléchissant les infrarouges et contenant des paillettes d'aluminium, et une couche de finition ultrafine, transparente aux infrarouges et contenant des nanoparticules inorganiques, disponible dans une large palette de couleurs. Cette peinture peut être appliquée sur les murs extérieurs et les toits, permettant ainsi à la majeure partie de la lumière infrarouge du soleil de traverser la couche colorée de la peinture, de se réfléchir sur la sous-couche et de repartir vers l'extérieur sous forme de lumière au lieu d'être absorbée sous forme de chaleur. Comme alternative pour conserver la chaleur à l'intérieur, la peinture serait appliquée sur les murs intérieurs où elle réfléchirait les ondes infrarouges. L'équipe de chercheurs a testé sa peinture en blanc, bleu, rouge, jaune, vert, orange, violet et gris foncé. Selon l'Université de Stanford, ces peintures étaient "dix fois plus efficaces que les peintures conventionnelles de même couleur pour réfléchir la lumière infrarouge moyenne élevée"
Serait-ce aussi possible chez nous?
Toutes ces recherches ouvrent une voie prometteuse vers une climatisation durable. Ces considérations deviendront dès lors un élément plus normal de la conception de bâtiments. Selon Aurore Julien, experte de l'environnement à l'Université d'East London, si ces technologies sont prometteuses sous les climats chauds, "elles ne sont peut-être pas appropriées dans le contexte d'un climat très variable ou d'un bâtiment nécessitant beaucoup de chauffage en hiver". Et vu que la majorité de la population mondiale vit dans des régions tempérées, "il pourra s'avérer difficile de trouver un équilibre entre les avantages de la climatisation passive et la demande de chauffage".
Dans ce cas, Aurore Julien pense qu'il sera nécessaire de combiner ces systèmes avec d'autres solutions. "Les systèmes dynamiques, comme ceux combinant refroidissement par évaporation et refroidissement radiatif en pulvérisant de l'eau sur le toit la nuit, seront plus appropriés aux climats nécessitant également beaucoup de chauffage en hiver."
D'autres développements et expériences seront nécessaires, ajoute-t-elle, pour "déterminer l'utilité de ces innovations et les optimiser pour les différentes conditions climatiques".
Sources : OpenMind / PaintSquare / Ministère de la Science et de la Technologie, Inde / Université de Stanford, Califormie / Université de Purdue, Indiana